Conte de Noël de 1669 - Le normand de Creully pendu à Paris à la Croix du Tiroir

Durant les avants de Noël on pendait un Normand à Paris, à la Croix du Tiroir, dans la rue Saint-Honoré.

Etant à l’échelle, prêt d'être jeté, le bourreau lui demanda s’il n’avait plus rien à dire ; il dit qu’il priait l'assistance de lui chanter un Salve Régina. Le bourreau dit tout haut : « Mes­sieurs, ce pauvre patient vous prie de lui chanter un Salve Régina. » Chacun ôte son chapeau, et se met à chanter le Salve.
Quand ce fut fait, il lui demanda s'il n’avait plus rien à dire ; il dit qu'il voudrait bien parler à quelqu’un de son pays ; il lui demanda de quel pays il était, il dit qu'il était de Creully.
Le bourreau, là-dessus, dit tout haut : « Messieurs, s'il y a ici quel­qu'un de Creully, qu’il lève la main ; ce pauvre patient veut parler à lui. »
De for­tune, il s’en rencontra un, qui s'approchant de lui, le condamné lui dit : « Etes-vous de Creully, mon ami ? — Oui, dit-il j'en suis. — Connaissez-vous bien, dit-il, Pierre un tel et Jacqueline une telle ? » L'autre ayant dit que oui.
« Ah I Dieu I dit-il, c'est mon père et ma mère, mon ami, ils seront bien affligés quand ils sauront le malheur qui  m'est arrivé, car il n'y a jamais eu de reproche à notre race; et je suis si malheureux que je suis le premier à les déshonorer ; mais je suis bien aise que tu sois présent à ma mort ; quand tu les verras, tu  pourras les consoler en les assurant que, si je les déshonore d'un côté, je leur apporte bien de l'honneur de l'autre ; tu pourras leur té­moigner, mon ami, que je suis mort com­me un saint, et qu’avant de mourir, com­me tu viens de voir, j’ai fait un miracle, car j’ai bien fait chanter des cocus en hiver. » Sitôt que le peuple l’eût entendu, chacun commença à crier :       « Pendez, pen­dez ! »

Plan de  Paris de Truschet et Hoyau, publié au milieu du xvie siècle
Le carrefour où se croisent les rues de l’Arbre Sec et Saint-Honoré (Ier) était autrefois un des plus fréquentés  de Paris,  le lieu où se déroulaient exécutions capitales et supplices (notamment l’essorillement réservée aux oreilles des serviteurs indélicats) jusqu’à la fin du XVIIe siècle. Une roue de supplice y était installée ainsi qu’un gibet (l’arbre sec) et une croix (la croix de Tahoir, nom provenant du vieux français désignant un  » tiroir  » que l’on tirait lors de la vente de tissus dans les commerces de la place). La croix qui fut détruite à la Révolution était destinée aux suppliciés  pour y faire leur dernière prière avant leur supplice.
Conte du sieur d'Ouville adapté par un creullois.
Source : Association "Marais-Louvre"